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      "Web 2.0", ou le triomphe du mercantilisme sournois.


           Si la généralisation du haut-débit et un certain nombre de développements logiciels (PHP, Ajax, etc...) ont été des facteurs de l'évolution de la Toile durant ces dernières années, le fait le plus marquant est la montée en puissance d'un nouveau modèle économique, entièrement fondé sur la publicité. On se souvient des gigantesques capitalisations boursières, montées comme des œufs en neige par la simple conviction d'être au cœur de la révolution industrielle en cours, défiant les lois de l'économie et le simple bon sens : des sociétés qui ne savaient pas comment se faire rémunérer leurs services, qui n'avaient pas engrangé un sou de bénéfice (voire un sou de revenu) étaient évaluées bien au-delà de solides sociétés de la "vieille économie", qui continuaient à fournir des produits et des services dont le monde n'avaient pas moins besoin qu'avant. Vint le moment de vérité, le charme se rompit et il fallut bien se poser les questions d'épicier qui sont le lot quotidien de n'importe quelle entreprise.

           Comment financer une production de services:
                 1) pour lesquels les coûts de production sont pratiquement indépendants du nombre de visiteurs,
                 2) qui ne nécessitent qu'un capital physique réduit au lancement, ce qui rend la concurrence beaucoup plus rude et donc les perspectives à moyen/long termes hasardeuses.
                 3) pour lesquels le consommateur n'est de toute façon pas prêt à payer grand chose. C'est un paradoxe que la Toile partage avec la télévision : on reconnaît volontiers la place prise dans la vie quotidienne non-professionnelle par Internet et les avantages qu'il apporte ; pour autant, la météo, un article de dictionnaire, un itinéraire, une recette de cuisine sont pratiquement considérés comme des biens publics, à disponibilité quasi-libre. Hypocritement, le coût de mise à disposition n'est pas reconnu comme tel : retour de bâton logique après tous les discours démagogiques sur le nouveau monde de gratuité qu'ouvrait Internet.

           On peut distinguer aujourd'hui 3 modèles économiques parmi les services proposés sur la Toile et qui correspondent aux 3 modèles que l'on retrouve dans la monde de la télévision : symboliquement Eurosport, Arte, TF1 (on ne s'intéresse ici qu'aux sites indépendants, qui ont leur finalité propre, ce qui exclut les sites d'entreprises). Le plus simple est celui du service payant (Eurosport) : le consommateur reconnaît la valeur ajoutée du service rendu et accepte de le rémunérer. Il concerne le téléachat (Amazon, eBay, etc...), plus accessoirement la numérologie et surtout, en termes de chiffre d'affaire, la pornographie.
           Le deuxième modèle économique (Arte) est fondé sur la non-lucrativité pure et dure : il concerne des "entreprises" comme Wikipédia, financées par des dons et des subventions et sans source de revenus propres.

           Le troisième modèle (TF1) est intégralement fondé sur la publicité. La similarité avec la télévision commerciale est évidente : de même que la finalité de celle-ci est de mettre à la disposition des annonceurs du temps de cerveau "préparé" pour recevoir les messages, l'objectif des sites commerciaux (AuFéminin.com, Lycos,...) est de fournir aux mêmes annonceurs une fraction du champ visuel de l'internaute, afin qu'ils puissent y glisser leurs messages. Le service, gratuit pour l'internaute en termes strictement financiers, se "paie" en exposition aux messages des publicitaires. Le clicomètre remplaçant l'audimat, la même logique gouverne ces activités : l'accès au consommateur-cible doit être garanti, ce qui nécessite de le fidéliser.
           La réponse "web 1.0" est basée sur les portails agrégateurs de services, les forums de discussion, les moteurs de recherche, etc... Google en est l'exemple-type : d'ores et déjà première régie publicitaire mondiale, son extraordinaire succès commercial repose sur la mise aux enchères de mot-clés, à des niveaux d'autant plus élevés que l'audience du site est large, stable, garantie. Il n'y a aucune recherche de sens ou de cohérence, comme pouvait le laisser espérer l'expression "moteur de recherche", puisque c'est uniquement les sommes déboursées qui ordonnent les liens sponsorisés ; quant au classement des pages Internet n'ayant pas payé leur écot, il n'émerge que du bruit des clics... Fournissant un service souvent médiocre, très aléatoire, pour lequel le prix qu'accepteraient de payer les utilisateurs serait de toute façon très faible, Google et ses pairs n'avaient sans doute d'autre choix que de se tourner vers la pub.

           La réponse "web 2.0" (YouTube, MySpace, DailyMotion,...) est beaucoup plus ambitieuse : dépassant la notion classique de service, elle consiste à renouveler un "contenu d'appel" en permanence, à produire en continu pour obtenir la fidélité du consommateur-cible. Pour que la rentabilité soit garantie, les coûts de production doivent rester extrêmement faibles. Or on ne rentabilise pas un coûteux film de catalogue, même saucissonné par des plages de spots, uniquement avec de la publicité. La solution est venu de la télévision : au développement de la téléréalité correspond le développement de la "webréalité". On exhibe les "peoples", on s'exhibe soi-même, on met en ligne ses photos, ses vidéos, tout et n'importe quoi, on peut regarder le nombril du voisin, s'invectiver même dans certaines limites. On peut écrire en langage sms, ponctué de smileys, tout ce qui passe par la tête sans que plus aucun critère de bon goût ou de pertinence ne vienne nous restreindre. Seules quelques limites légales perdurent. La jungle des liens croisés est bien évidemment là pour garder le plus longtemps possible l'internaute-consommateur en ligne, dans le bourdonnement des clics. La production de contenu est ainsi sous-traitée aux consommateurs-cibles eux-mêmes : c'est économiquement génial, il faut le reconnaître !

          La publicité sur Internet présente au moins l'avantage d'être beaucoup moins intrusive que la publicité d'affiche ou de télévision. Il est probable que, pour cette raison même, elle n'atteint pas la même efficacité. Tandis que les outils se mettent en place pour évaluer le coût d'acquisition d'un clic de client potentiel, les budgets publicitaires consacrés à Internet sont en très forte expansion : on pourra évaluer d'ici quelques années la part de l'effet de mode et la fraction du gâteau publicitaire qu'Internet est capable de capter de manière stable.


*** Article publié le 25 août 2007 ***

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