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      La suppression de la publicité dans l'audiovisuel public sera-t-elle la première mesure de la "politique de civilisation" de N. Sarkozy ?

           Vers un statut du communicataire.

           Bien sûr, on pourra remarquer avec un clin d'œil entendu qu'un des principaux bénéficiaires de la suppression de la publicité sur les chaînes de la télévision publique serait M. Martin Bouygues, un ami très proche du Président, auquel ce dernier doit beaucoup. Bien sûr, on pourra critiquer cette manie débile mais déjà ancienne, qui consiste à accoler un financement spécifique à une nouvelle dépense, en contradiction complète avec le principe de non-affectation des recettes publiques. Et bien sûr, on pourra savourer ou s'indigner de l'apparente ingratitude de Nicolas Sarkozy, homme de com' avant toute chose, sûrement un des plus habiles vendeurs de lessive de notre époque.

          Mais ne boudons pas notre plaisir !

          La plus puissante des logiques qui structurent aujourd'hui les programmes des chaînes publiques va disparaître. Au-delà du chamboulement de leur équilibre économique, c'est leur modes de penser les programmes, d'appréhender le temps d'antenne, qualitativement et quantitativement, leurs méthodes de production, bref toute leur idéologie qui devrait être bouleversée. La facilité intellectuelle qu'apporte la logique d'Audimat, mécanique et aveugle, disparaîtra pour remettre à la première place la réflexion permanente sur ce qui est constitutif d'une mission de service public, réflexion difficile, ardue, âpre même tant les avis peuvent diverger, et toujours remise sur le métier dans notre société qui évolue vite et dans un contexte où les canaux de diffusion se multiplient.

           Pourquoi s'attacher à prix d'or certaines vedettes du "20 h" ou du "prime time", quand le % d'audience arraché aux concurrents n'apporte rien de tangible à court terme et que d'autres talents sont disponibles ? Qu'est-ce qui justifierait d'acheter encore des séries ou les droits d'adaptation de produits qui n'ont été étudiés, formatés, construits que pour servir de vecteurs au flux publicitaire incessant ? Où serait l'apport à la Nation, dès lors qu'aura disparue l'excuse, fallacieuse, du financement de la création française par la pub ?
          Dans quelle mesure le spectacle sportif, produit dans des formats négociés avec les annonceurs par un appareil industriel très profitable, a-t-il une place dans le service public ?

           Bien que non-explicitée dans le discours présidentiel, l'idée selon laquelle on ne peut pas tout payer avec du temps de cerveau mis à disposition des annonceurs, apanage jusqu'à maintenant de quelques contestataires, se voit donc reconnue par la voix la plus importante de l'establishment politico-médiatique français. Si le service public de création française ne saurait désormais être financé (même partiellement) par cette taxe permanente que représente l'exposition à la publicité, c'est qu'il devient inacceptable que le bombardement des esprits soit couvert par une simple facturation aux annonceurs. Au-delà des expressions à la mode et bien que l'analyse s'arrête court pour l'instant, il s'agit d'une véritable "rupture de civilisation".

          Il faudra bien sûr que la réflexion aille plus loin, dans les années à venir, afin que s'élabore un statut du communicataire, c'est-à-dire de l'individu récepteur-cible, passif, de la communication publique ; afin que soit également reconnu un statut au temps de cerveau disponible du communicataire, qui dépassera la simple valeur marchande à laquelle la médiasphère l'a réduit jusqu'à maintenant ; afin que, très logiquement, chaque communicataire soit reconnu propriétaire de son propre temps de cerveau et que, non moins logiquement, émerge un droit à ne pas être exposé aux discours publicitaires non-sollicités, prolongation naturelle du droit de disposer librement de sa propriété et donc de ne pas l'aliéner.
          Le Président Sarkozy a fait un pas dans cette direction, sans doute celui qui coûte le plus. Mais la route sera longue avant que se mette en place un nouvel équilibre de la médiasphère conforme à ces principes.

           *** Article publié le 19 janvier 2008 ***

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